Une première expérience de plus dans ce blog.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]Tôt ce matin, quand le jour est encore loin et que les quelques voitures des zombies qui embauchent à des heures indues sont déjà trop nombreuses, quand le gazouillis des oiseaux, mus par le bon sens dorment encore, ne trouble pas l'immobilisme des façades de maisons aux volets clos, quand le camion des poubelles seul profite semble-t-il d'une dérogation pour faire son tapage nocturne, j'ai couru.
Ce n'est pas la première fois, mais c'est tellement sporadique et à chaque fois une souffrance que cette dernière méritait d'être narrée. Car à la grande différence de tous ces grands nigauds qui allongent la foulée jusqu'à la tendinite chaussés de coussins d'air en plastique, j'ai couru pieds nus.
C'est à force de fréquenter un vanupieds qui en parle beaucoup mieux que moi et qui court depuis trois ans. Non pas que je doutais de la méthode, tout au contraire. Mais il fallait procéder par étapes, tout comme il a lui même pratiqué, rassembler les conditions et d'abord apprendre à marcher. Sans doute à cause de ce souci au bassin, un truc congénital (on dit aussi Breton) à l'origine d'une lordose et d'une jambe légèrement plus courte, marcher correctement, sans provoquer de douleurs, en étant détendu et en respirant bien, était déjà toute une histoire.
Ce truc ne m'a pourtant jamais posé problème quand j'étais petite. Comme tous les enfants qu'on laisse libres dans un assez grand espace, je courais. Parce que c'est la chose la plus naturelle. Je courais à m'en faire péter la rate, les joues écarlates. D'ailleurs après que mes parents aient quitté la banlieue parisienne pour habiter une maison en pleine rase campagne, j'ai passé les dix années qui ont suivi à gambader, courir, faire du vélo, jouer au badminton et au ballon kangourou toujours pieds nus.
C'est le souvenir de cette pure hilarité pédestre qui rend mon début de pratique de la course minimaliste si excitante.
Or ce matin, en compagnie de Karui Ashi plus haut cité, nous nous sommes échauffés en marchant, en prenant soin de positionner correctement les pieds, le dos, le bassin, sans soulever les épaules ni les genoux, en frôlant l'asphalte tels des monte-en-l'air en quête d'une palissade à franchir, les bras souples et le regard portant loin. Mon bassin était raide, déjà douloureux, le dos aussi. D'abord équipés de chaussons en néoprène pour surfers, partis du château d'eau de Bellejouanne et empruntant les rues parallèles à l'avenue de la Libération pour éviter le bruit et la puanteur des moteurs, nous avons déchaussés à l'angle de la rue de la Souché.
Et là le pied est entré en extase. Le sol était pourtant froid, bien qu'il faisait très doux en cette heure matinale, par endroit même humide des averses de la nuit. Mais peu importait, mes jambes se sont prises de légèreté et mes pieds pour des poulains en manque de dégourdissement, maladroits, mais frétillants et impatients. J'ai retrouvé cette grisante sensation de liberté sans limite qui anime un gosse parti à l'aventure dans son jardin.
Même mon souffle s'est immédiatement calé d'instinct. Moi qui peine d'emblée sur un pénible 3/2 dès la première foulée, j'étais sur un 4/3 sans aucun effort, comme une respiration au repos. Seule l'abrasion du revêtement de la route sur ma semelle plantaire a eu raison de mon euphorie. Cherchant les zones moins agressives, bondissant d'un trottoir à l'autre, évitant par là une plaque d'égout, ici une crotte de chien, mon souffle a migré du nez à la bouche. Mais c'est surtout l'effort pour lutter contre la brûlure qui m'a obligé à l'arrêt.
Résignée, j'ai enfilé mes chaussons et nous avons repris un rythme de marche. Et comme par un mauvais sort, toutes mes douleurs dans le dos et le bassin ont refait surface. Je me suis concentrée sur mon souffle pour les faire passer comme un mauvais point de côté, en vain. J'ai alors de nouveau ôté mes chaussons, et comme miracle, toutes les douleurs ont instantanément disparu.
Au regard du rapport conflictuel que j'entretiens avec le sport, du vide quasi sidéral du peu d'activités physiques que j'ai pu avoir dans ma vie jusqu'ici et toujours dans d'atroces douleurs (j'exagère à peine), m'entendre dire ce matin que j'ai hâte de recourir est aussi dingue qu'un canular d'Andy Kaufman